Dans une série de l’émission La Bible à la Une, Etienne Dalher, diacre de la Communauté des Béatitudes et directeur de Radio Ecclesia, partage ses réflexions sur le vécu de l’épidémie, le confinement, les notions de risque, de prudence, et l’urgence de la vraie charité… Les textes des émissions repris ci-dessous, font suite à une première série publiée il y a quelques jours. Vous pouvez la retrouver ici.
La prudence, une vertu cardinale !
Emission du 27 mai 2020
Évoquant cette semaine le duo : risques/vie, nous avons vu que la prudence était de mise pour éviter au maximum les risques dangereux. C’est en quelque sorte une vertu.
Vertu cardinale, à la fois dans l’ordre moral et dans l’ordre de la raison, la prudence est de tous les combats et sur tous les champs de bataille. Elle est la sagesse de l’ordre pratique.
L’art de la prudence passionna les hommes de la Renaissance et du XVIIe siècle. Pourvoir tous les fidèles d’un « art de se gouverner » qui leur permette d’être respectés, respectables et supérieurs si possibles.
Les jésuites de l’époque intégrèrent la virtù virile héritée des Grecs et des Romains aux vertus cardinales et théologales exaltées par saint Thomas d’Aquin, vertus qui, dans l’héroïcité de leur pratique, avaient produit la myriade de saints et de martyrs du premier christianisme. Ce Siècle d’or essaya de réagir contre l’accusation de faiblesse adressée par Machiavel contre le christianisme qui considérait la prudence comme une frilosité.
La vertu de prudence, comme d’ailleurs les trois autres vertus cardinales, n’apparaît pas comme telle dans les Saintes Écritures, Ancien et Nouveau Testaments. Elle est héritée de la classification stoïcienne mais elle a été totalement intégrée à la pensée chrétienne
En ce qui concerne la prudence, elle est à la fois dans l’ordre moral et dans l’ordre raisonnable. La vertu morale est le principe de la prudence car elle assure ainsi l’estimation juste de la fin au service de laquelle la prudence opère. La prudence maîtrise les appétits et les range aux ordres de la raison.
Dans l’enseignement de Jésus, Notre Seigneur n’a pas cessé de nous donner en exemple la prudence, ceci en paraboles. Celle de l’économe infidèle en Luc 16, 1-9, et celle, célèbre, des vierges folles et des vierges sages en Matthieu 25, 1-13. Dans cette dernière, ce qui est loué n’est pas la vigilance, puisque ces dix vierges s’endorment, mais la prévoyance, c’est-à-dire l’exercice raisonnable de la prudence.
Plus que jamais, cette vertu cardinale devrait jouer son rôle dans notre vie car elle est créatrice d’ordre, d’harmonie, d’équilibre, et donc de bonheur, un bonheur relatif ici-bas mais figure de la béatitude promise. L’homme prudent ne s’encombre pas de bagages car il sait qu’il ne pourra pas passer trop chargé à travers la porte étroite.
La prudence, oui, l’omission, non !
Emission du 28 mai 2020
La prudence comme toute autre attitude est susceptible d’excès. Être trop prudent devient paralysant. On n’ose plus. On ne prend plus de risque. On ne sait plus faire de choix. On s’enferme dans un cocon sécurisant, qui, finalement ne nous protégera pas des risques majeurs. Le slogan qui courrait pendant le confinement : « Je suis prudent, je reste chez moi ! » s’il était compréhensible dans ce contexte particulier, devient épouvantable si on l’applique comme une règle de vie. Je pourrais rester chez moi toute ma vie, sans voir personne, je finirais tout de même par être rattrapé par la maladie (ne serait-ce que sur le plan psychique !), je finirais tout de même par mourir d’accident, en tombant dans mon appartement par exemple, ou brûlé dans l’incendie de mon immeuble, ou victime d’un arrêt cardiaque.
La difficulté n’est pas d’avoir été confiné pendant des semaines, mais d’être invité par la société à nous confiner nous-même en permanence. En favorisant, même en exaltant l’individualisme, la société nous pousse à nous confiner. A n’avoir confiance en personne. A voir en l’autre un concurrent, voire un ennemi. A régler notre existence en fonction de nos désirs, nos projets, nos idéologies, sans aucun égard pour les autres. A nous construire des murailles qui nous protègent, mais en même temps nous enferment. Presque la moitié de l’humanité confinée, (2,6 Milliards de personnes sur 7,6 Milliards au 30 mars dernier) nous a révélé une image terrible de la situation réelle et profonde de l’homme aujourd’hui. Une image symbolique, mais qui renvoie, comme tout symbole, à une vérité.
Passé le confinement, il faut sortir de chez soi, pour que la vie reprenne. Il est urgent de nous déconfiner, non seulement du confinement du corona, mais du confinement existentiel imposé par le monde moderne. Coincé dans son confinement, l’homme court à sa perte. Car il détruit sa propre humanité : son rapport bienveillant à l’autre, sa compassion, les élans de solidarité, d’entraide, de partage. En un mot : l’amour de l’autre.
Là où la société veut nous cloîtrer dans des boîtes hermétiques, il nous faut ouvrir portes et fenêtres.
Après tout, suis-je plus important que l’autre ? Ma vie a-t-elle plus de prix que la sienne ?
L’autre est-il un anonyme qui me ressemble, ou un autre moi-même ? Un humain, ou un frère ?
La prudence a ses limites. L’amour, lui, n’en n’a pas. On connait la phrase attribuée à St Augustin : « la limite de l’amour est d’aimer sans limite ! »
Une vie sans risque est une vie dont l’amour est banni.
Osons la vie, osons l’amour !
Emission du 29 mai 2020
Le confinement intérieur, le repliement sur soi, le « vivre sans risque », ne nous poussent-ils pas à manquer à la charité ?
Dans la parabole du Bon Samaritain, les lévites qui passent et se détournent du voyageur détroussé s’enferment dans leur confinement intérieur. La détresse du blessé ne semble pas les concerner. Leur attitude marque certes un profond égoïsme, mais surtout un ‘précautionnisme‘ exagéré. Et cela leur fait manquer gravement au commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Jésus, dans son comportement par rapport aux lépreux, nous indique à quel point l’amour de l’autre est une priorité absolue. Il n’hésite pas à s’approcher des lépreux, pire, à les toucher ! Il brave ainsi les mesures sanitaires les plus élémentaires, mais aussi l’interdiction morale qui consistait à mettre en quarantaine les malades. Il passe outre, risquant lui-même d’être contaminé, ou d’être critiqué vertement par les autorités religieuses.
Mais, me direz-vous, c’est Jésus…! Nous ne sommes peut-être pas tous appelés à faire de même ? La question mérite d’être posée.
Pensons au baiser au lépreux de St François. Un acte fou. Eminemment risqué. Un acte d’amour pur. François rencontre un lépreux. Au lieu de s’en écarter, il s’approche et l’embrasse. Au moment où il l’embrasse, le lépreux disparaît, et à sa place Jésus apparaît. « Tout ce que vous ferez à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous le faites. »
Pensons tout au fil de l’histoire, à ces nombreux chrétiens et chrétiennes, qui, sans regarder à eux-mêmes et à leur intérêt personnel, se sont mis au service des pestiférés, des lépreux, des malades contagieux. Beaucoup en sont morts.
L’hyper-prudence n’est donc pas de mise dans l’optique chrétienne. Je pense que le confinement nous a joué des tours. Nous avons peut-être renoncé à visiter les personnes âgées, les malades, alors que nous aurions pu le faire en respectant les mesures demandées. Nous avons peut-être manqué à la charité parce que nous n’avons pas cherché tous les moyens de la vivre dans le cadre qui s’imposait à nous.
Que faire ? En avoir conscience est déjà très important. Ensuite, faire preuve d’inventivité pour que cela ne se reproduise pas.
Le personnel soignant a osé se frotter à la maladie, au nom de sa vocation propre. Maintenant que la situation nous le permet, osons prendre des risques pour être de vrais serviteurs de l’amour. Ne restons pas frileusement rabougri sur nos peurs. Prenons des initiatives. Osons la vie. Osons l’amour.
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