Vie d’Oraison : Oraison et ascèse (n°43)

À l’école des saints du Carmel, l’oraison peut-pêtre envisagée comme un « pur dialogue d’amour » avec Dieu. Mais peut-on concevoir un tel échange d’amour sans ascèse, sans sacrifice ? L’amour implique de laisser en nous de la place pour l’autre, dans notre temps, nos pensées, notre affectivité…

Le désir creuse en nous un espace où accueillir l’Autre. L’ascèse, quant à elle, nous aide à creuser et à garder vide pour lui seul cet espace, à prendre clairement conscience que Dieu seul peut combler nos manques, notre attente, notre désir. Mais de quelle forme d’ascèse parle-t-on ?

Toute ascèse n’est pas chrétienne

Méfions-nous d’une ascèse de type manichéiste. Pour elle, l’esprit – bon – serait prisonnier de la chair – mauvaise – et l’ascèse devrait nous libérer de la chair pour nous ouvrir à l’esprit.

Cette vision est contraire au mystère de l’Incarnation. Le Verbe s’est fait chair dans le sein de Marie sous l’action de l’Esprit Saint. Il nous faut aimer la chair « temple de l’Esprit » (1 Co 6, 19) de cet amour sauveur dont « Dieu a tant aimé le monde » (Jn 3, 16).

Méfions-nous aussi d’une ascèse de type pélagien. Pour elle, c’est notre effort qui devrait nous sauver et nous permettre d’atteindre Dieu. Elle s’oppose à la théologie de la grâce, celle dont a été comblée Marie à la visite de l’ange et dès son Immaculée Conception.

L’ascèse chrétienne, au contraire, nous aide à prendre conscience que notre chair (notre réalité humaine concrète), bonne et aimée de Dieu mais blessée par le péché, est cette terre aride, altérée et sans eau qui a soif de Dieu (Ps 62, 2).

Une ascèse par amour en vue de l’oraison

C’est donc l’amour qui doit orienter notre ascèse en vue de l’oraison, l’amour envers Dieu et envers nous-mêmes, en vue de notre salut. Qu’ai-je à te donner Seigneur pour te dire que je t’aime, que Toi seul, tu peux combler ma vie et mon être ? De quoi ai-je à me désencombrer pour laisser le passage à ta grâce ?  Mon temps ? Mon agir ?  Mes pensées ? Mon rapport à internet ? Mon affectivité ? Mon corps ? Mon confort ? Mes biens ? Ma volonté propre ? Mes projets ? À chacun de trouver la réponse opportune avec l’aide de l’accompagnement, selon son état de vie, son devoir d’état, ses responsabilités, l’appel de la grâce pour lui et l’étape de la vie spirituelle qu’il traverse. Mais combien dois-je chérir cette liberté intérieure, ce dépouillement pour me livrer à la rencontre ; tout perdre – tout donner – pour acquérir la perle précieuse (cf. Mt 13, 43-46). C’est le « nada » en vue du « tout » de saint Jean de la Croix.

Continuellement, je devrai réajuster cet effort d’ascèse.  Il est un temps pour se lever tout joyeux au milieu de la nuit pour adorer, un temps pour faire effort de volonté pour se lever, mais aussi un temps pour y renoncer par miséricorde pour mon corps fatigué. C’est alors l’heure de se souvenir que Dieu comble son bien-aimé qui dort (Ps 126, 2) et que le Seigneur préfère « la miséricorde au sacrifice » (Mt 9, 13). Ne prenons cependant jamais la miséricorde comme alibi à notre paresse ou à notre tiédeur, et n’oublions pas que celui qui nous a dit cela est celui qui, par amour, s’est offert en sacrifice pour nous.

Une ascèse qui découle de l’oraison

Il est un autre versant à la relation entre ascèse et oraison. Si celui que j’adore est bien l’Agneau de Dieu, l’Agneau immolé pour le salut du monde, et si l’oraison n’est pas seulement me tenir devant lui mais être pleinement uni à lui, alors l’oraison me pousse à demeurer offert avec lui pour le salut du monde. J’entre alors dans un autre chemin d’ascèse, souvent plus passive qu’active, où je suis décentré de moi-même pour laisser le Christ continuer de s’offrir à travers moi. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20), et « ce qu’il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24). C’est l’ascèse de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus « assise à la table des pécheurs » dans la nuit de la foi, après s’être offerte en victime à l’amour miséricordieux. C’est la blessure d’amour du Cœur du Christ qui vient blesser d’amour mon propre cœur lorsque je me laisse unir à lui. L’ascèse consiste alors à ne pas fuir cette blessure d’amour, à n’y chercher d’autres remèdes que de nous réfugier plus profondément encore dans la blessure du Cœur divin et à la laisser saigner sur ce monde par nos propres blessures. C’est ce qu’exprime sainte Thérèse de Lisieux : « Vivre d’amour c’est essuyer ta face, c’est obtenir des pécheurs le pardon. Ô Dieu d’amour, qu’ils rentrent dans ta grâce et qu’à jamais ils bénissent ton Nom (…) Jusqu’à mon cœur retentit le blasphème, pour l’effacer je veux chanter toujours, ton Nom sacré, je l’adore et je l’aime, je vis d’amour ! » (PN 17, strophe 11).

Ascèse et eschatologie

Mais cet Agneau Immolé, cette hostie, ce Cœur divin blessé d’amour, c’est dans la gloire du Ciel que je le contemple de l’autre côté de la victoire sur le tombeau. Aussi l’oraison m’unit-elle inséparablement à la Croix et à la gloire du Ciel. Elle m’établit dans cette « douloureuse joie » chère à nos frères d’Orient, dans cette paix paradoxale qu’exprime le témoignage de saint Silouane : « Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas », dans cette lumière qui rayonne du visage et du corps de notre père saint Séraphim pourtant tellement marqué par l’épreuve et par la croix. L’ascèse ici consiste à ne pas fuir cette tension entre le « déjà là » et le « pas encore » du Royaume, à rester investi par la charité dans ce monde tout en laissant grandir en nous le désir de ce jour où « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28).   Tel est le témoignage de saint Jean-Baptiste lorsqu’il s’efface devant le Christ qui maintenant baptise lui aussi (cf. Jn 3, 29-30).

C’est cette charité animée par la bienheureuse espérance de l’avènement de Notre-Seigneur qui nous pousse à embrasser de son amour nos frères et sœurs, et toute la création dans un désir du Ciel qui nous libère peu à peu des convoitises de ce monde.

 

La citation

« Aimer, c’est travailler à se dépouiller et dénuer pour Dieu de tout ce qui n’est pas Dieu. » Saint Jean de la Croix

 

 

Pour aller plus loin…

Rien que pour aujourd’hui :

  • Pendant un temps d’oraison, je demande au Seigneur : « De quoi ai-je à me désencombrer par amour, en ce début de Carême, pour laisser libre passage à ta grâce ? »

Livres :

  • Le starets Séraphim de Sarov, Louis Albert Lassus, O.E.I.L.
  • Je veux voir Dieu, première partie, chapitre VI, « Ascèse thérésienne », Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Éditions du Carmel.

 

Retrouvez les articles précédents de notre série « Vie d’oraison ».
(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).

*Le Livre de Vie de la Communauté est le texte fondateur de la spiritualité de la Communauté. Vous pouvez le télécharger ici ou le commander aux Editions des Béatitudes.

Oraison

Ces articles sur la vie d'oraison sont extraits du bulletin mensuel "Il est là !" publié à l'usage des membres de la Communauté des Béatitudes et de leurs amis. Il est rédigé par un collectif de laïcs, prêtres, frères et sœurs consacrés, membres de la Communauté, avec le désir de stimuler la vie de prière, essentielle à la vocation aux Béatitudes comme à toute vie chrétienne authentique... C'est pourquoi nous sommes heureux de vous partager ces contenus simples.

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