Le passage de la méditation à la contemplation est un thème important dans l’oeuvre de Jean de la Croix. Il en parle à trois reprises (dans la Montée du Carmel, la Nuit Obscure et la Vive Flamme).
L’oraison méthodique
L’époque qui était la sienne, sous diverses influences, a vu se développer chez beaucoup de personnes, y compris des laïcs, la pratique de l’oraison silencieuse. Cela supposait une certaine méthode à suivre, comportant par exemple les éléments suivants : consacrer chaque jour une demi-heure ou une heure de son temps à cela, commencer par une préparation intérieure et une invocation pour se recueillir et se mettre en présence de Dieu, puis lire un texte de l’Écriture ou d’un auteur spirituel, opérer un travail de réflexion et d’imagination pour tirer de ce texte des lumières pour l’intelligence, des sentiments pour exciter le coeur dans l’amour de Dieu, des résolutions pour la vie concrète. On poursuit par une prière pour confier à Dieu ces résolutions et lui demander la force de les appliquer, et on conclut par une action de grâce. D’innombrables livres proposaient des méthodes de ce genre aux fidèles désireux de progresser dans la vie spirituelle et l’union à Dieu. Il était assez mal vu à cette époque, par crainte d’illusion spirituelle, que quelqu’un pratique l’oraison silencieuse sans avoir un livre avec lui, et sans s’appuyer sur une telle méthode.
Jean de la Croix ne méprise pas ces méthodes, elles peuvent être très utiles voire nécessaires pour aider quelqu’un à s’engager et à persévérer sur le chemin de l’oraison. Elles nous disent comment procéder concrètement pour prier, elles évitent un vide intérieur ou une paresse qui peuvent parfois nous guetter. Elles accoutu-ment l’âme à fréquenter Dieu, à se détacher des choses du monde, et à s’ouvrir aux lumières et aux grâces que le Seigneur peut accorder. Aujourd’hui encore des méthodes analogues, adaptées aux mentalités actuelles – il est bon, par exemple, d’y associer le corps – peuvent être précieuses pour entrer dans la vie d’oraison.
Limites de ces méthodes…
Le point sur lequel Jean de la Croix va beaucoup insister est le suivant : ces méthodes sont bonnes, mais elles ont leurs limites. Elle se basent surtout sur une activité humaine (de l’intelligence, de l’imagination, de la volonté) alors que l’oraison est appelée à devenir peu à peu moins « active » et plus « passive », non pas tant une activité de l’homme qu’une attitude de réceptivité, où c’est Dieu qui opère dans l’âme.
D’autre part il nous fait remarquer que, si les émotions, pensées, résolutions, vécues dans la prière peuvent nous rapprocher de Dieu, elles sont insuffisantes pour nous unir à lui et nous laisser transformer en profon-deur. Ce que nous sentons de Dieu n’est pas encore Dieu. Ce que nous comprenons de Dieu n’est pas encore Dieu. Ce que nous imaginons de Dieu n’est pas encore Dieu. Il est au-delà de toute représentation et de toute impression sensible.
Une autre raison des limites de ces méthodes est la suivante : l’expérience montre que, pendant un certain temps, elles peuvent « bien marcher » (on y reçoit des lumières, le coeur se réchauffe dans l’amour, on y goûte sensiblement la présence de Dieu, cela nous fait du bien et nous encourage à persévérer) mais en général arrive un temps où cet exercice ne « marche plus » : on entre dans une sécheresse, on n’y ressent plus de goût, cela devient laborieux et pénible. La personne éprouve une répugnance à méditer et se sent plutôt poussée à arrêter de discourir et de réfléchir pour se tenir tranquille dans une simple attention amoureuse à la présence de Dieu, sans mots ni idées, ni images distinctes.
Sécheresse, entrée dans la contemplation ?
Ce phénomène de sécheresse et d’impuissance à méditer est déroutant pour qui est habitué à méditer et qui y trouve son compte. Mais il est en général bon signe : le Seigneur veut faire à la personne la grâce d’une prière plus pauvre, plus simple, plus réceptive, et qui va finalement être la source de grands progrès, car désormais c’est Dieu qui opère. De manière secrète, insensible, mais réelle, il va agir dans le profond du coeur, infuser une sagesse, une force qui permettra à la personne d’aller beaucoup plus loin.
La sécheresse n’est pas forcément le signe de cette nouvelle étape. Jean de la Croix donne des critères de discerne-ment. Outre l’impuissance à méditer, il faut deux autres signes. D’une part, que la personne n’éprouve pas l’envie de se distraire dans autre chose que Dieu. D’autre part, qu’elle ressente une sorte d’inclination intérieure pour « rester en solitude, en attention amoureuse à Dieu, sans considération particulière, en paix intime, en quiétude, en repos, sans actes exercés au moyen de l’entendement, de la mémoire ou de la volonté, du moins sans actes discursifs passant d’un objet à un autre, mais dans une connaissance, une attention générale et amoureuse, sans que l’intelligence se porte vers une chose en particulier » (Montée du Carmel, Livre 2, chap.13).
La contemplation
C’est cela que Jean de la Croix appelle contemplation. Une prière simple, pauvre, plus réceptive qu’active, une attention amoureuse du coeur à la présence de Dieu, qui peut coexister avec certains mouvements involon-taires de l’imagination et des pensées, qu’on ne peut pas totalement stopper, sauf grâce très particulière. La pensée peut divaguer un peu, mais le coeur est tourné vers Dieu dans un simple acte de foi et d’amour, et cela suffit !
Cette contemplation peut avoir parfois un objet précis : on est touché par tel aspect du mystère de Dieu. On peut être émerveillé par la beauté du visage de Jésus ou par la force d’une de ses paroles. Mais il peut aussi arriver que cette contemplation n’ait pas d’objet précis, qu’elle soit comme une vue générale et obscure du mystère de Dieu, mystère d’amour au-delà de toute conception, présence insaisissable mais vivante accueillie dans la foi et la gratitude. C’est très bien ainsi, car Dieu y fait son oeuvre et se communique en secret à l’âme. Les fruits viendront avec abondance. L’âme se fortifiera dans la foi, l’espérance et la charité.
La transition vers la contemplation ne se fait pas de façon définitive. Quand la grâce d’une prière de simple attention amoureuse n‘est pas donnée ou quand les circonstances nous demandent de méditer sur telle ou telle vérité ou sur un texte, il est bon de revenir à la méditation. N’oublions pas non plus que, quelle que soit l’étape spirituelle, des moments de méditation de l’Écriture sont toujours indispensables.
De Joseph Arnaud (1671-1723)
« Faisant oraison devant le Saint-Sacrement, m’appuyant presque tout le temps sur mes raisonnements et mes propres lumières, je m’imaginais que je devais me nourrir de quelque chose, et que je ne pouvais mieux faire, ne pouvant atteindre jusqu’à Dieu, que de me fixer sur les vérités qui peuvent conduire à lui. Cependant, mon oraison était bien vide : beaucoup de raisonnements, peu ou point d’affections et beaucoup de résolutions. J’entendis alors la voix de mon Dieu qui m’arrêta tout court en me disant : « Je ne veux point dans toi un discoureur et un philosophe, mais un coeur humble et soumis. Je veux que tu demeures en paix et vide de tout en ma présence ».
La citation
« Il ne s’agit pas de penser beaucoup, mais de beaucoup aimer. »
Sainte Thérèse d’Avila
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(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).
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