La vie de saint Jean de la Croix est traversée par la vocation religieuse contemplative. Ce fut chez lui un désir radical d’entrer en communion avec Dieu et à travers lui avec les personnes et les choses. Il a choisi un chemin raccourci et direct pour parvenir à la divine lumière de l’union parfaite avec Dieu ; un chemin jalonné par les « riens », par des « nuits » à traverser pour arriver à la joie de l’union.
La pauvreté spirituelle est au cœur de sa spiritualité. Dans la nuit s’opère le passage du vieil homme à l’homme nouveau. Il s’agit d’un dépouillement progressif et total pour faire toute la place à Dieu. Ce n’est pas un vide pour le vide mais en vue d’une plénitude. Comme l’âme ne peut, par elle-même, se purifier totalement, l’Esprit Saint intervient et fait le travail, mais non sans elle qui doit au moins y donner son consentement.
D’où les différents types de nuit :
- Selon leur forme : nuit active (ce que l’homme fait lui-même avec la grâce divine) ; nuit passive (travail de l’Esprit Saint ; l’âme pâtit et doit consentir).
- Selon leur profondeur : nuit des sens (l’homme dans sa présence au monde par ses puissances sensibles) ; nuit de l’esprit (l’esprit représentant la liberté de l’homme dans sa relation à Dieu).
La nuit des sens
Au début du chemin, l’âme est tiraillée, entraînée en de multiples directions par ce que Jean appelle les appétits, qui la tourmentent, l’obscurcissent et la séparent de Dieu. Un premier travail de réforme s’impose : mettre du calme, de l’ordre, de sorte que le sensible soit soumis à l’esprit. C’est la nuit active des sens : dire « non », consentir aux « riens » par amour de Dieu. Cela exige une présence à Dieu et à soi-même, une décentration par rapport à soi pour trouver le vrai centre, Dieu.
Mais il faudra que Dieu intervienne directement par la nuit passive des sens. « Que l’âme ait seulement une attention pour aimer Dieu, sans vouloir sentir, ni rien voir. Dieu se communique passivement à elle, de même que se communique la lumière à celui qui a les yeux ouverts » (II MC 15, 2). Lorsque Dieu trouve l’âme prête, il intervient en se communiquant plus profondément, laissant l’être sensible sevré et désorienté. La méditation devient plus ou moins impossible. L’âme, malgré le dégoût généralisé et un souci affligeant de Dieu et de ne pas le servir, le sert cependant avec force et courage. Si elle demeure dans le silence et la patience, elle perçoit la communication divine, connaissance générale, amoureuse et obscure qui la remplira d’amour pour cheminer vers la contemplation.
Mais nos appétits étant enracinés plus profond, en notre esprit, la purification sensible reste superficielle, d’où la nécessité des nuits de l’esprit.
La nuit de l’esprit
Il nous faut entrer dans la nuit active de l’esprit sans attendre la fin de la nuit des sens. Mais seule la nuit passive de l’esprit, autrement dit la flamme de l’Esprit qui brûle dans la nuit, pourra achever notre purification.
Jean de la Croix insiste sur l’importance des vertus de foi, d’espérance et de charité, qui nous font vivre une vie théologale, une vie en relation avec Dieu-Trinité. Ces vertus orientent notre manière de vivre de sorte qu’elle soit conforme aux exigences de l’union divine. Elles font obscurité et vide dans nos puissances spirituelles afin d’y faire toute la place à Dieu. Elles purifient, libèrent et vident respectivement notre entendement, notre mémoire et notre volonté de ce qui n’est pas Dieu pour les transformer en parfait lieu d’accueil pour la communication divine.
En effet, ces différentes nuits ont coupé les branches sans arracher les racines, d’où l’importance de la nuit passive de l’esprit. « Dieu enseigne l’âme en secret et l’instruit en perfection d’amour. Et parce que c’est une sagesse de Dieu amoureuse, c’est Dieu qui fait les principaux effets en l’âme car, en la purifiant et illuminant, elle la dispose pour l’union d’amour avec Dieu » (II NO 5, 1). C’est une influence de Dieu en l’âme qui atteint la racine de l’esprit. Cette nuit est appelée contemplation infuse ou théologie mystique, ces expressions mettant en relief l’aspect reçu et secret de cette influence. Il s’agit d’un passage à vide, par une pauvreté radicale.
Mais c’est Dieu qui immobilise les puissances par la communication de lui-même. Il opère en l’âme une contemplation obscure, pure et lumineuse. Il ne lui laisse plus de disponibilité pour une autre occupation. L’âme découvre ses misères, par la force de la lumière divine. Mais, c’est pour les mettre dehors et les anéantir que Dieu les lui montre. Horrible nuit mais aussi heureuse nuit, nuit de mort et de résurrection. Mort du vieil homme, naissance de l’homme nouveau, entrée dans l’enfance spirituelle qui est vie de filiation divine. C’est une nuit qui n’est que lumière et amour permettant à l’âme de goûter les choses d’en-haut et d’ici-bas avec une générale liberté d’esprit, tout en la conduisant à l’union d’amour.
Au sortir de la nuit
Mémoire, entendement et volonté ont subi la purification et le passage par une pauvreté radicale. Maintenant, l’âme sort de la nuit, parfaitement revêtue de la triple livrée du Christ : foi, espérance et amour.
« Ô nuit qui m’a guidée ! Ô nuit plus aimable que l’aurore ! Ô nuit qui as uni, l’Aimé avec son aimée, l’aimée en son Aimé transformée » (NO, 5).
À travers ces différentes nuits, l’âme devient participante de Dieu, de sa vie trinitaire. Dans la passion de la nuit, l’âme non seulement souffre pour sa propre purification mais, plus encore, elle entre dans une participation à la Croix du Christ pour le salut du monde.
Désormais, l’épouse est prête et le Père accomplit sa promesse de venir en elle avec le Fils et l’Esprit et de faire chez elle sa demeure. Alors l’âme, telle une épouse, invite l’Époux : « Allons-nous en nous voir en ta beauté… car ta beauté sera ma beauté et ainsi en ta beauté je paraîtrai un autre toi-même » (CSA 36 ; CSB 36, 5) jusqu’au jour où l’heure vient et l’âme chante :« Découvre-moi ta présence, que la vision de ta beauté me tue » (CSB 11).
La Citation
« Dans cette heureuse nuit, je me tenais dans le secret, personne ne me voyait, et je n’apercevais rien pour me guider, que la lumière qui brûlait dans mon cœur. » Saint Jean de la Croix
Partage de l’auteur, Sr Josette Baroukidu Carmel Saint Joseph, au Liban
L’enseignement de saint Jean de la Croix m’est parvenu en tant que femme, carmélite et orientale. Il a éveillé « le mystique » caché en tout être humain et a ravivé le désir de suivre radicalement le Christ. Il ne s’agit à aucun moment de copier le chemin de Jean de la Croix ou d’essayer de l’imiter pas à pas. À chacun de tracer son propre chemin ayant comme seul fondement le Christ qui est Le Chemin par excellence. C’est un appel à nous engager et à persévérer dans cette voie avec une grande détermination qui est aussi souplesse, patience et force sous l’action de l’Esprit ; un appel à vivre plus que jamais la nudité spirituelle pour retrouver l’Autre et à travers lui tout autre. |
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(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).
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