La famille d’Antonella a été victime de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui a fait 240 victimes, quelques 5000 blessés sans compter les dégâts matériels. Un an plus tard, la jeune femme, pourtant engagée dans une vie de prière, disait sa désolation de ne pas prier avec ferveur : « Je n’arrive pas à prier, ni à penser à Dieu. Le temps passe et j’en suis encore à Lui demander pourquoi nous a-t-il abandonnés ? Pourquoi Dieu ne fait-il pas justice aux victimes ? Pourquoi ne répond-il pas à nos prières ? » Quand les épreuves s’invitent dans l’oraison…
En fait, nous sommes héritiers d’un schéma de la prière que nous pensons parfait : se recueillir en silence devant Dieu pendant un temps conséquent où nous avons une effusion de bons sentiments et de bonnes résolutions.
Tout ce qui serait étranger à ce tableau ne serait pas « oraison ». Dans les temps difficiles, il est ainsi fréquent que nous renoncions à prier ou croyions que nous ne prions pas si nous ne récitons pas avec ferveur nos prières.
Hommes et femmes des temps bibliques
Pourtant, l’Écriture nous enseigne, à travers l’expérience de personnages bibliques, que nous pouvons nous ouvrir à l’union à Dieu, but de l’oraison, par des moyens simples et accessibles, particulièrement dans les moments difficiles.
Abraham n’a-t-il point fait oraison quand il a cru en la promesse de Dieu de le bénir et de lui donner une descendance issue de son sein malgré son grand âge et celui de Sarah ? N’a-t-il point fait oraison quand il a intercédé pour Sodome et Gomorrhe, entrant en communion avec Dieu et avec ceux qu’il voulait sauver de la perdition ? Faire oraison, c’est s’abandonner entre les mains de Dieu, se souvenir de son Alliance, lui présenter nos demandes jusqu’à marchander avec lui et espérer contre toute espérance la réalisation de ses promesses.
Moïse n’a-t-il point fait oraison quand Amalek vint combattre Israël à Rephidim (cf. Ex 17, 8-9) ? Ses mains levées assuraient à Israël la victoire. Faire oraison, c’est se placer sur la montagne sainte, là où notre Dieu nous attend, c’est L’écouter afin d’être conduits vers la victoire.
David n’a-t-il point fait oraison durant sa vie de berger, d’époux, de père, de guerrier et de roi ? Les psaumes nous montrent un homme de chair et d’os qui a aimé, travaillé, commis le péché, fait la guerre, voire tué et qui a su, dans toutes ces circonstances, invoquer le Dieu de sa vie. Faire oraison, c’est demeurer en Dieu et se tourner vers Lui dans la joie et la détresse, la faute et la grâce, le malheur et la bénédiction.
Jésus est le témoin fidèle de l’oraison qui l’unit au Père. Il se retirait seul ou avec ses disciples pour prier (cf. Lc 5, 16 ; 6, 12 ; 9, 18 et Lc 11, 1-13). Son ultime prière au jardin de Gethsémani nous montre que jamais Dieu ne laisse son ami seul face aux épreuves dont celle de la mort (Mt 26, 36-46 ; Mc 14, 32-42 ; Lc 22, 39-46). Mais Jésus ne prie pas seul. Les anges sont là. Le Père est là même s’il semble le délaisser. Le consolateur est là. Aussi peut-il se remettre entre les mains du Père et accomplir jusqu’au bout sa volonté. Il sait que la mort n’aura pas le dernier mot !
Hommes et femmes de notre temps
Thérèse de Lisieux raconte deux épisodes très instructifs sur la manière dont elle vivait l’oraison. Elle écrit : « Il me semble lorsque Jésus descend dans mon cœur, qu’Il est content de se trouver si bien reçu et moi je suis contente aussi… Tout cela n’empêche pas les distractions et le sommeil de venir me visiter, mais au sortir de l’action de grâces voyant que je l’ai si mal faite, je prends la résolution d’être tout le reste de la journée en action de grâces (…) » (Manuscrit A folio 80 recto). Thérèse a compris qu’elle ne doit pas se laisser conduire par l’esprit de crainte, mais qu’elle doit tirer profit de ses misères. C’est faire oraison que d’accepter d’entendre Jésus nous dire comme il a dit à Pierre : « Simon, tu dors ! Tu n’as pu veiller une heure » (Mc 14, 37-40) et de lui offrir notre sommeil en promettant d’être plus éveillés la prochaine fois.
Thérèse rapporte un autre épisode où elle offrait un insupportable bruit qui la distrayait durant l’oraison : « Je restais donc tranquille, j’essayais de m’unir au Bon Dieu, d’oublier le petit bruit… tout était inutile, je sentais la sueur qui m’inondait et j’étais obligée de faire simplement une oraison de souffrance, mais tout en souffrant, je cherchais le moyen de le faire non pas avec agacement, mais avec joie et paix, au moins dans l’intime de l’âme, alors je tâchais d’aimer le petit bruit si désagréable ; au lieu d’essayer de ne pas l’entendre (chose impossible) je mettais mon attention à le bien écouter comme s’il eût été un ravissant concert et toute mon oraison (qui n’était pas celle de quiétude) se passait à offrir ce concert à Jésus » (Manuscrit C, folio 30).
On raconte aussi qu’un rabbin mené à la mort dans les camps de concentration avançait dans cette dure épreuve en récitant le Shema’ Israel à haute voix. Certains se moquaient de lui en lui disant : « Pourquoi continues-tu à prier et à invoquer ton Dieu ? Où est-Il pour te sauver ? » L’homme répondit : « J’ai toujours répété cette prière en disant à Dieu que je l’aimais de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces et voici venu le temps de le lui prouver. Mon Dieu est avec moi. » L’oraison de ce rabbin était ce cri de confiance en dépit de l’épreuve.
Oraison de bien-être ou de souffrance, de louange ou de désir, les saints nous invitent à abandonner nos armes, nos vues et nos idées pour épouser notre réalité telle qu’elle est, et l’offrir à Jésus afin qu’il puisse l’offrir au Père tel qu’Il est. Ils nous disent que l’essentiel est notre bonne volonté de suivre Jésus et de persévérer dans le désir d’être à Lui et de nous unir à Lui, corps, âme et esprit.
Dieu est avec nous
D’un côté, nous voulons nous unir à Dieu et gagner le Royaume au prix de nos pratiques religieuses et de nos combats quotidiens, car « le royaume des cieux est forcé, et ce sont les violents qui s’en emparent » (Mt 11, 12). D’un autre côté, le Seigneur nous invite à nous reposer sur son cœur face aux rudes épreuves de la vie et aux crises interminables qui les jalonnent. Ainsi, prier en offrant sa douleur physique, prier en mettant devant Dieu toute la colère que nous ressentons face au combat de la maladie, prier en pleurant de ne pas pouvoir pardonner à un ami qui nous a trahi ou en silence pour ne pas déranger le voisin qui travaille à côté, prier sans autre arme que la foi, l’espérance et l’amour, n’est-ce pas l’oraison qu’agrée Dieu qui scrute les reins et les cœurs (Jr 11, 20 ; 17, 10 et 20, 12 ; Ps 138, 13-24) ?
La citation
« Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour, au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin, c’est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » Ste Thérèse de Lisieux
« Toujours dure longtemps »
« Écoutons le reproche adressé par le Seigneur à ceux qui se prétendent ses fidèles : « Votre amour ressemble à la nuée matinale, à la rosée qui se dissipe de bonne heure« (Os 6, 4). (…) Il n’est pas difficile, en effet, de dire : « Je t’aime« . La difficulté commence quand on dit : « Pour toujours« , et surtout lorsqu’il s’agira de le réaliser. Car « toujours dure longtemps« . Tant que l’attrait exercé par l’aimé demeure vif, on reste attaché à lui sans effort ni peine. Mais pour que l’attrait ne diminue pas à mesure que se révèlent « les réalités de l’existence« , celui qui aime devrait pouvoir le renouveler, pour le maintenir au moins dans sa teneur initiale (…) Car ce qui hier vous attirait avec raison mérite de vous attirer encore aujourd’hui, si vous avez encore la force de vous élever du caprice à la fidélité, des récriminations aux mélodies. » (Père Jérôme, Car toujours dure longtemps, Le Sarment-Fayard, 1986, p. 162-163).
Pour aller plus loin…Rien que pour aujourd’hui :
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(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).
*Le Livre de Vie de la Communauté est le texte fondateur de la spiritualité de la Communauté. Vous pouvez le télécharger ici ou le commander aux Editions des Béatitudes.