Un regard trop rapide sur les deux réalités que sont l’oraison et la liturgie pourraient les opposer : l’oraison est davantage une prière personnelle – privée – qui privilégie le silence, et la liturgie une prière communautaire – prière publique de l’Église – qui se vit selon un rite, fait de gestes, de paroles et de chants. Pourtant, oraison et liturgie se complètent, se servent et s’appellent l’une l’autre.
Dimension dialogale
Oraison et liturgie participent d’un même dynamisme et de la même finalité : la relation et l’union avec Dieu. En effet, « l’oraison n’est qu’un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé » (Ste Thérèse d’Avila, Vie 8). Tandis que la liturgie « est une rencontre des enfants de Dieu avec leur Père, dans le Christ et l’Esprit Saint, et cette rencontre s’exprime comme un dialogue, à travers des actions et des paroles » (CEC, n° 1153). Dans l’oraison comme dans la liturgie, nous retrouvons donc la dimension dialogale qui n’est autre que celle de la Révélation (cf. Dei Verbum, n° 2). Cette dimension, évidente dans l’entretien seul à seul et le cœur à cœur de l’oraison, est également rendue visible dans la liturgie à travers les acclamations, le chant et la prière. La voix des fidèles y est l’instrument privilégié du cœur croyant qui répond à Dieu, tel l’épouse à l’Époux, tel l’enfant à son Père.
« À cette parole reçue, la voix des fidèles répond dans une liturgie essentiellement dialogale, où alternent parole du célébrant et réponse des fidèles, Parole de Dieu et écoute réceptive de l’Église », comme le dit le futur pape Benoît XVI dans son livre L’esprit de la liturgie. Il rappelle aussi dans cet ouvrage de référence que le silence dans la liturgie est nécessaire à ce dialogue entre Dieu et l’homme : « Au Dieu qui s’adresse à nous, nous répondons par le chant ou la prière. Mais le grand mystère qui dépasse toute parole nous appelle au silence » (p. 164). À l’instar de l’oraison, dans la liturgie, « le silence […] favorise une participation vraiment profonde, personnelle, nous permettant d’écouter intérieurement la parole du Seigneur » (Entretiens sur la foi, p. 151).
C’est pourquoi, là où le rituel le propose, le défi est donc de « rendre le silence substantiel ». Celui-ci ne s’identifie pas avec « l’absence de discours et d’action », ni avec « une pause où mille pensées et désirs nous assaillent », ou encore avec « un simple entracte dans l’action liturgique » (L’esprit de la liturgie, p. 164). Ce silence liturgique s’apparente au silence de l’oraison. Il est fait de recueillement, de paix intérieure, d’attention à l’essentiel, de dialogue intérieur avec le Seigneur.
La liturgie : source et terme de toute prière
La liturgie, comme participation à la prière du Christ, adressée au Père dans l’Esprit Saint, et comme célébration du mystère du Christ, est source et terme de toute prière (cf. CEC, n° 1073 et 2655). C’est cela qui en fait une prière chrétienne – le Christ en tous ses mystères en est le centre et nous conduit au Père. Le même christocentrisme se retrouve dans l’oraison carmélitaine, si attentive à la sainte humanité du Christ, comme chemin vers l’union transformante avec le Dieu trois fois saint.
Plus concrètement, les différents éléments de la liturgie, inspirés ou tirés de la Parole de Dieu (lectures, psaumes, prières, hymnes, etc.), « révèlent […] le sens du Mystère célébré, aident à l’intelligence des psaumes et préparent à l’oraison silencieuse » (CEC, n° 1177).
De même, « la lectio divina, où la Parole de Dieu est lue et méditée pour devenir prière, est ainsi enracinée dans la célébration liturgique. » (CEC, n° 1177).
Vivre la liturgie avec le cœur
Réciproquement, la qualité de notre vie d’oraison, de notre prière intérieure, a une influence sur notre vécu de la liturgie. Elle favorise en effet, l’harmonie, l’accord entre la dimension extérieure du rite (la proclamation de la Parole, les prières vocales, le chant, les gestes, etc.) et notre cœur profond. « Célébrer la Liturgie des Heures exige […] d’harmoniser la voix avec le cœur qui prie » (CEC, n° 1176), or l’oraison est au service de cette exigence.
L’oraison est donc au service d’une liturgie qui soit un culte en esprit et en vérité, le lieu de la rencontre, de l’union avec Dieu et de la sanctification de l’homme. Le Catéchisme de l’Église Catholique affirme que « la prière intériorise et assimile la Liturgie pendant et après sa célébration » (CEC, n° 2655).
C’est pourquoi, l’oraison, le recueillement et l’attention à la présence de Dieu avant, pendant et après la célébration liturgique, lui permettent de porter tout son fruit de grâce en nos vies.
Prier sans cesse
Tout comme le temps d’oraison imprègne peu à peu toute la vie d’un esprit de prière, le temps consacré à l’Eucharistie et aux offices transforme progressivement toute la vie en une liturgie.
Dom André Louf affirme que « toute liturgie authentique [a] tendance à faire tache d’huile, à se prolonger tout au long de la journée pour envahir tous les espaces disponibles, dans le temps, dans les lieux, et principalement dans le cœur de priants. Une liturgie authentique porte toujours des fruits au-delà d’elle-même. Elle déteint sur la vie, elle a tendance à transformer celle-ci tout entière en liturgie incessante. »
Ce qui est dit ici de la liturgie peut tout à fait s’entendre de l’oraison, si bien qu’une oraison authentique porte toujours des fruits au-delà d’elle-même. Elle déteint sur la vie, elle a tendance à transformer celle-ci tout entière en oraison incessante.
Par ailleurs, comme le dit Sacrosanctum Concilium, constitution sur la sainte liturgie du Concile Vatican II : « L’office divin, en tant que prière publique de l’Église, est la source de la piété et l’aliment de la prière personnelle » (n° 90).
Nous le voyons donc : oraison et liturgie sont intrinsèquement liées et se nourrissent mutuellement.
La citation
« Interromps immédiatement ton travail dès que sonne la cloche pour l’office. Le son de la cloche te donne à chaque fois une occasion de te détacher de ce que tu es en train de faire. Rends-toi au chœur sans tarder, mais paisiblement. En chemin, élève ton cœur vers Dieu et réjouis-toi d’être appelé par Lui à chanter sa gloire. » Wilfrid Stinissen
Apophtegme du XXème siècle
« Voici, dans quelque antique cathédrale […], un vénérable chapitre de chanoines occupés à réciter l’office. Éclate soudain un violent orage. Les éclairs et les coups de tonnerre se succèdent et se rapprochent. Un frisson court dans les stalles, et le doyen du chapitre, fort ému, fait un signe de la main et interpelle ses confrères : “Arrêtons l’office, mes frères, pour prier un instant.” »
Cet apophtegme nous est rapporté par dom André Louf pour introduire son livre sur la liturgie comme chemin de prière… car à l’époque écrit-il, « il n’y avait pas que des chanoines à percevoir avec quelque difficulté le lien entre liturgie et prière. » (André Louf, L’œuvre de Dieu, un chemin de prière, Paris, Lethielleux, 2005, p. 7-8).
Pour aller plus loin…Rien que pour aujourd’hui :
Livres :
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(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).
*Le Livre de Vie de la Communauté est le texte fondateur de la spiritualité de la Communauté. Vous pouvez le télécharger ici ou le commander aux Editions des Béatitudes.