Vie d’Oraison : À l’école de Madeleine Delbrêl (n°59)

Madeleine Delbrêl (1904-1964) est l’une des figures spirituelles majeures du XXe siècle en France. Son message est d’une grande actualité et nous dévoile un profil mystique incomparable. Elle vient de Dordogne et grandit dans une famille chrétienne non pratiquante. Arrivée à Paris à l’adolescence, au contact de milieux intellectuels et agnostiques, elle se dit « strictement athée ». « Dieu est mort, vive la mort ! » écrira-t-elle dans un élan de nihilisme assumé. Poète et artiste, elle apprend le piano, le dessin et aime danser, mais la vie lui semble absurde.

Conversion puis départ à Ivry

À 18 ans, elle est amoureuse d’un brillant centralien mais celui-ci la quitte brusquement pour entrer chez les Dominicains. Cette rupture est un choc qui la plonge dans la dépression. Ce vide la pousse vers une recherche intérieure. Le 29 mars 1924, elle vit une conversion qualifiée de « violente », comme un éblouissement qui ne la quittera jamais : « J’avais été et je suis restée éblouie par Dieu. » Notons que ce retournement est le fruit d’une décision de prier, à genoux par peur d’irréalisme. « Le converti est un homme qui découvre la merveilleuse chance que Dieu soit. Il a connu le vertige de l’absurde dans un monde incohérent ; l’inacceptable d’une morale qui n’est pas une mystique, la morsure de chaque jour qui n’est qu’une marche vers la mort… » écrit-elle.

Dans un texte très augustinien, elle exprime le fond de son cœur suite à cette rencontre décisive : « Tu vivais et je n’en savais rien. Tu avais fait mon cœur à ta taille […]. Quand j’ai su que tu vivais, je t’ai remercié de m’avoir fait vivre, je t’ai remercié pour la vie du monde entier. »  Encouragée par le prix Sully Prudhomme, elle poursuit d’abord une carrière poétique, puis s’engage concrètement dans le scoutisme. Se sentant appelée et très attirée par le Carmel, elle s’oriente finalement vers une vie communautaire « au milieu des pauvres et incroyants ». Madeleine est une artiste, mais c’est dans l’art de la charité qu’elle va se déployer de façon remarquable. « Ma vocation c’est l’amour » disait la petite Thérèse. Madeleine, c’est aussi l’amour en actes.

Le 15 octobre 1933, elle quitte Paris avec deux amies pour une banlieue rouge : Ivry, la ville aux 300 usines. Ce milieu social n’est pas le sien mais devient très vite son terrain de mission. « Dieu n’a pas dit : tu aimeras ton prochain, sauf les communistes », dit-elle avec humour… La vocation de La Charité voit le jour, d’autres femmes rejoignent le petit noyau. Apôtre des périphéries, Madeleine invite ses équipières à être « charnière de chair, charnière de grâce » comme « un pont entre l’homme et le mystère ».

Obéir aux circonstances du quotidien, telle est l’exigence pour vivre une vie radicale adaptée aux laïcs. Pour ce faire, elle a appris à obéir aux événements puisque les « menues circonstances sont des supérieures fidèles ». Après 12 ans d’intense travail à la mairie, ayant acquis de réelles compétences, Madeleine démissionne de son poste d’assistante sociale, préférant une totale disponibilité pour se faire universelle et « possédée par Dieu ».

Sa règle de vie

Sa règle de vie c’est vivre l’Évangile. Ni plus ni moins. Dès qu’une vie communautaire se forme, les partages d’Évangile hebdomadaires sont vécus fidèlement. Son amour pour la Parole est brûlant et attisé par son directeur spirituel, l’abbé Jacques Lorenzo. Quand elle est trop fatiguée pour prier, elle souligne la Parole, si bien que sa Bible est entièrement crayonnée. « Le silence, c’est parfois se taire, mais c’est toujours écouter. » Dans l’effervescence de la ville ou de sa maison ouverte à tous, Madeleine est une âme de silence, à l’écoute de la Parole de Dieu. « Le silence ne nous manque pas car nous l’avons […]. Dans la rue, pressés par la foule, nous établissons nos âmes comme autant de creux de silence où la Parole de Dieu peut se reposer et retentir. »

Madeleine se définit elle-même comme une « inclassable », ni religieuse ni laïque. Pétrie des écrits des saints du Carmel, elle puise aussi à l’École française de spiritualité et chez Catherine de Sienne. Mais c’est avec Charles de Foucauld qu’une ressemblance est tout particulièrement perceptible. Nous retiendrons plusieurs points communs entre eux. Tous deux sont des convertis et ont expérimenté l’absurdité d’une vie sans Dieu.

Madeleine écrira : « La conversion est un moment décisif qui nous détourne de ce que nous savions de notre vie pour que, face-à-face avec Dieu, Dieu nous dise ce qu’il en pense et ce qu’il en veut faire. À ce moment-là, Dieu nous devient suprêmement important plus que toute chose, plus que toute vie, même et surtout la nôtre. » Comme le Frère universel, Madeleine ne veut pas « travailler pour le Christ, mais revivre le Christ au milieu d’un monde déchristianisé ». La Charité « vise à faire des “agis”, non des “actifs” », à « être le Christ, pour faire ce que fait le Christ ».

Un autre point commun saillant est sans doute sa recherche de la « dernière place ». Madeleine aime la simplicité, la sobriété, elle se fait proche des « gens ordinaires ». Elle n’a jamais voulu fonder quoi que ce soit de son vivant mais son mode de vie continue d’inspirer aujourd’hui.

Dans une vie toute donnée aux autres, Madeleine découvre que « la vraie solitude, ce n’est pas l’absence des hommes, c’est la présence de Dieu ». Âme profondément contemplative, le secret de sa relation à Dieu et de sa présence au monde est l’adoration : « L’essentiel de cette vie […]c’est d’être […] des îlots de résidence divine. Assurer un lieu à Dieu. Être voué, avant tout, à l’adoration» Madeleine n’aura de cesse d’exhorter à la prière : « Si tu vas au bout du monde, tu trouves les traces de Dieu ; si tu vas au fond de toi, tu trouves Dieu Lui-même. » À défaut de temps long pour la prière, elle nous invite à creuser profondément pour rencontrer Dieu en nous : « Aujourd’hui dans beaucoup de vies urbaines, la prière n’est possible qu’en procédant à des forages où l’intensité supplée la durée. Ces plongées énergiques et obscures tendent vers Dieu par la profondeur. »

À l’aube de ses 60 ans, le 13 octobre1964, épuisée, elle décède à sa table de travail. Sa vie s’est consumée dans la charité et la prière. Dans notre monde athée ou déchristianisé, Madeleine est un phare et une source d’inspiration singulière. Comme le dit le cardinal Veuillot : « Son secret est une union à Jésus-Christ telle qu’elle lui permettait toutes les audaces et toutes les libertés. »

Son œuvre littéraire est immense, encore méconnue, et son procès de béatification est en cours.

La citation

« Une fois que nous avons connu la parole de Dieu, nous n’avons pas le droit de ne pas la recevoir ; une fois que nous l’avons reçue, nous n’avons pas le droit de ne pas la laisser s’incarner en nous, une fois qu’elle s’est incarnée en nous, nous n’avons pas le droit de la garder pour nous : nous appartenons dès lors à ceux qui l’attendent. »

Madeleine Delbrêl

 

 

Pour aller plus loin…

Rien que pour aujourd’hui :

  • Dans mes multiples activités, je veille à prévoir et à vivre des temps de « forage » pour rejoindre Dieu en profondeur.

  • Identifier quelles sont mes périphé-ries ? Vers qui le Seigneur m’envoie-t-il concrètement en mission ?

  • Pourquoi ne pas prévoir un pèlerinage dans sa maison d’Ivry-sur-Seine ?

Livres :

  • L’éblouie de Dieu : les plus beaux textes de Madeleine Delbrêl, Nouvelle Cité.

  • La sainteté des gens ordinaires, NC.
  • Madeleine Delbrêl, poète, assistante sociale et mystique, Gilles François et Bernard Pitaud, NC.
  • Madeleine Delbrêl et les saints du Carmel, Un héritage revisité, Sophie Mathis, NC.
  • https://www.ktotv.com/video/00423414/madeleine-delbrel-lamour-a-loeuvre

Extrait :

La sainteté des gens ordinaires, Madeleine Delbrêl, extrait

« Il y a des gens que Dieu prend et met à part. Il y en a d’autres qu’il laisse dans la masse et qu’il ne retire pas du monde. Ce sont des gens qui font un travail ordinaire, qui ont un foyer ordinaire ou sont des célibataires ordinaires […]. Ils aiment leur porte qui s’ouvre sur la rue comme leurs frères invisibles au monde aiment la porte qui s’est refermée définitivement sur eux. Nous autres gens de la rue croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis, est pour nous le lieu de notre sainteté. Nous croyons que rien de nécessaire ne nous y manque car, si ce nécessaire nous manquait, Dieu nous l’aurait déjà donné. »

 

Retrouvez les articles précédents de notre série « Vie d’oraison ».
(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).

Oraison

Ces articles sur la vie d'oraison sont extraits du bulletin mensuel "Il est là !" publié à l'usage des membres de la Communauté des Béatitudes et de leurs amis. Il est rédigé par un collectif de laïcs, prêtres, frères et sœurs consacrés, membres de la Communauté, avec le désir de stimuler la vie de prière, essentielle à la vocation aux Béatitudes comme à toute vie chrétienne authentique... C'est pourquoi nous sommes heureux de vous partager ces contenus simples.

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