Heureux les pauvres
La première des Béatitudes dans l’Évangile selon saint Matthieu, qui introduit et contient toutes les autres, est : « Heureux les pauvres en esprit » (Mt 5,3). À cette béatitude est associée une promesse magnifique : entrer en possession du Royaume des Cieux, c’est-à-dire de toute la richesse de la vie divine. Ce qui est précisément le but de la vie d’oraison. Il y a donc un lien entre la pauvreté spirituelle et la vie d’oraison.
Il est clair que Dieu ne peut se communiquer pleinement qu’à un cœur de pauvre. Si je suis rempli d’attache-ments et de recherche de sécurités humaines, comment Dieu pourrait-il trouver place en mon cœur ? Pour une vie d’oraison authentique, il est donc nécessaire de « travailler à se dépouiller pour Dieu de tout ce qui n’est pas Dieu » (Montée du Carmel, livre 2, chapitre 5), c’est-à-dire d’apprendre à ne pas avoir d’autre appui que Dieu, d’autre sécurité que sa miséricorde infinie.
La persévérance dans l’oraison implique une certaine expérience de pauvreté. C’est le paradoxe de la prière : elle est une grande richesse, elle nous fait parfois toucher le Ciel et comble notre cœur d’une plénitude qu’aucune réalité de ce monde ne peut nous donner, tout en étant parfois une expérience radicale de pauvreté. Le chemin vers la gloire de Dieu est un chemin de pauvreté et d’humilité. Le chemin vers le sommet de la montagne est parfois une descente douloureuse.
La première raison est que, dans le domaine de la prière, il n’existe aucune technique, aucune méthode qui puisse nous assurer que notre prière sera toujours satisfaisante. L’oraison n’est pas une technique à maîtriser, mais une quête, une aventure, dans laquelle nous sommes totalement dépendants de Dieu, qui parfois nous laisse dans notre misère et parfois vient nous consoler et nous combler sans que nous n’ayons rien fait pour mériter cela. On ne peut pas manipuler Dieu ; nous n’avons aucune prise sur lui. S’il se donne, c’est toujours librement et gratuitement. Il répond bien sûr à notre recherche, mais jamais d’une manière telle que nous pourrions penser que cela provient de nos efforts.
La deuxième raison est que la persévérance dans l’oraison nous fait entrer plus profondément dans la lumière de Dieu. Celle-ci peut parfois être douce et consolante, mais parfois aussi très douloureuse et humiliante. Comme un rayon de soleil qui traverse une pièce obscure met en évidence toute la poussière qu’on ne voit pas d’ordinaire, la lumière divine révèle notre péché, nos blessures, notre orgueil secret, tout ce qui en nous est encore opposé à la pureté absolue de l’amour divin et à la vérité de l’Évangile.
Les temps d’oraison ne sont pas toujours des moments de joie et de douce intimité avec Dieu. Ce sont parfois des moments de combat et d’obscurité, dans lesquels tout ce qui ne va pas dans notre vie, notre misère radicale, notre impuissance absolue, nous sautent au visage. Ce n’est pas confortable pour notre orgueil, mais c’est une nécessité pour notre conversion. Qui ne connaît pas ses maladies ne peut pas guérir. Seule la vérité nous rend libres. Cette expérience douloureuse de pauvreté nous oblige à perdre toutes nos prétentions, toute notre suffisance, et à crier vers Dieu pour qu’il nous fasse miséricorde. Cela est une grande grâce, qui nous conduit à mettre notre espérance en lui et non en nous-mêmes, et aussi à devenir compréhensifs envers les autres. Moi qui suis si pauvre, comment puis-je me permettre de juger qui que ce soit ?
On peut dire que dans le cheminement de la vie spirituelle, et dans la prière en particulier, Dieu nous prive progressivement de toute possibilité de nous appuyer sur autre chose que lui. Le curé d’Ars disait : « Dieu m’a fait cette grande miséricorde de ne rien mettre en moi sur quoi je puisse m’appuyer : ni talent, ni science, ni sagesse, ni force, ni vertu ». Si nous avons quelque talent ou quelque force, il faut bien sûr les mettre au service du Seigneur. Mais ce que nous devons éviter à tout prix, c’est de nous appuyer dessus, et non pas sur Dieu seul.
Foi, espérance, charité et pauvreté spirituelle
Ce qui fonde la vie d’oraison, c’est l’exercice de la foi, de l’espérance, de l’amour. Mais il est clair que dans chacune des vertus théologales, il y a une certaine forme de pauvreté. Croire, ce n’est ni voir, ni sentir, ni comprendre. Espérer, c’est attendre avec confiance, mais ce n’est pas encore posséder. Comme le dit saint Paul, « ce que nous voyons, comment l’espérer encore ? » (Rm 8,24). Aimer, c’est aussi une pauvreté : c’est vivre non plus pour soi mais pour l’autre. L’amour véritable suppose un renoncement à toute forme de propriété. Aimer l’autre, c’est l’accueillir et le respecter sans aucune tentative d’emprise, de manipulation, de possession.
Pauvreté et liberté
Dans ses consignes aux apôtres avant de les envoyer en mission, Jésus leur dit : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). C’est une phrase clé de l’Évangile, et il me semble qu’on peut y trouver une parfaite description de la pauvreté spirituelle. Le pauvre, c’est celui qui est capable de tout recevoir gratuitement : recevoir non pas en vertu d’un droit, d’un mérite, d’une revendication, d’une dignité qu’on pourrait faire valoir, mais recevoir avec simplicité, seulement en vertu de la générosité du Donateur.
Le pauvre, c’est aussi celui qui sait donner gratuitement : ne rien retenir de ce qu’il a reçu, ne pas s’en servir pour gonfler son « ego » mais le mettre au service des autres. Tout considérer comme un don, non comme un dû. Ne rien réclamer en retour. Se considérer toujours comme le serviteur inutile qui n’a fait que son devoir et ne réclame pas de récompense ou de gratification particulière pour ce qu’il a accompli. Ce qui est sagesse… car si nous recevons notre récompense de nos mérites, nous n’aurons pas grand-chose… Si nous attendons notre récompense de la pure miséricorde de Dieu, nous aurons bien davantage !
C’est pourquoi Thérèse de Lisieux dit : « Il n’y a pas de joie comparable à celle que goûte le véritable pauvre d’esprit. » Dans le contexte de ces mots, la joie est celle de se sentir libre, parce que détaché de tout. Le pauvre est celui qui n’a rien à défendre, rien à perdre, car il a déjà tout donné à Dieu et il attend tout de lui. Il s’est perdu pour Dieu et ainsi il a tout gagné.
Enfin, si je suis vraiment pauvre de cœur dans mes activités apostoliques et mes relations, je serai capable de donner Dieu. Si je suis riche de moi-même, ce sont mes impressions, mes idées, etc. que je communiquerai. Seule la pauvreté de cœur nous rend transparents au travail de Dieu.
« Consentir à rester pauvre » « Il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile car « Le véritable pauvre d’esprit, où le trouver ? Il faut le chercher bien loin » a dit le psalmiste… II ne dit pas qu’il faut le chercher parmi les grandes âmes, mais « bien loin », c’est-à-dire dans la bassesse, dans le néant… Ah ! restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d’esprit et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d’amour… » Extrait de la Lettre 197 de Ste Thérèse de Lisieux à Sr Marie du Sacré Cœur |
La citation
« L’unique bien, c’est d’aimer Dieu de tout son cœur, et d’être ici-bas pauvre d’esprit. » (Sainte Thérèse de Lisieux)
Pour aller plus loin…Rien que pour aujourd’hui :– Durant un temps de prière, je peux demander la grâce de voir le côté lumineux de quelques-unes de mes pauvretés. Comment le Seigneur a-t-il pu en faire un chemin d’humilité, de joie et de simplicité ? Quels en sont les fruits dans ma vie aujourd’hui ? – Je peux prendre le temps de méditer les paroles de Thérèse de Lisieux sur la pauvreté spirituelle proposées en fin de bulletin. Lectures
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(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).