Oraison et humilité sont liées et se nourrissent réciproquement. L’oraison nous éclaire progressivement et de plus en plus profondément sur l’infinie grandeur, l’infini amour, l’infinie miséricorde de Celui qui s’abaisse le premier pour nous rejoindre et nous dire son amour. Ce cœur à cœur, ce « commerce d’amitié » (Thérèse d’Avila) nous éclaire en retour de plus en plus profondément sur notre petitesse et notre misère. L’oraison nous fait mesurer le décalage abyssal qui existe entre le Créateur et sa créature, mais nous fait comprendre également combien Dieu « descend » pour se faire « le tout-proche », l’intime, l’Ami… Incroyable dignité des fils de Dieu !
Dieu n’arrête pas de descendre !
Dans toute l’histoire de la révélation judéo-chrétienne, ce n’est pas l’homme qui « s’élève » pour rencontrer Dieu, mais Dieu qui descend le premier pour révéler son existence et son amour. Durant l’Exode au désert, Dieu « descend » dans la Nuée et Moïse s’entretient avec Lui dans la « Tente de la Rencontre » (cf. Ex 26), préfigurant le temps où tous les hommes en tout lieu peuvent adorer « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23), depuis que Dieu s’est incarné en Jésus-Christ et que nous sommes devenus les tabernacles du Dieu vivant. L’Amour-même prend un chemin extraordinaire d’abaissement, de kénose, par lequel « le Verbe se fait chair » (Jn 1, 5) : « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 6-8). Jésus n’a pas rougi de devenir l’un de nous et de nous appeler ses frères (cf. Hb 2, 11).
Regarder l’humilité de Dieu
Jésus se fait Serviteur de tous et le signifie lorsqu’il lave les pieds de ses disciples : geste inouï de l’esclave, que Pierre ne comprendra que plus tard… En ce repas de la Cène, les paroles de Jésus annoncent le don de son amour qui sera consommé sur la Croix où Il meurt comme un malfaiteur ; par ces paroles, Jésus institue le sacrement de l’Eucharistie par lequel Il continue de se donner à chaque Messe. L’adoration eucharistique nous met devant ce Dieu qui contient tout et qui se laisse contenir dans une simple hostie ! « Nous L’avons vu, nous L’avons contemplé » (Jn 1, 1-4), peut-on dire de la Présence eucharistique. Quel exemple d’humilité de la part de Dieu ! Folie d’amour qui n’a rien à voir avec une espèce de misérabilisme, mais bien plutôt avec le témoignage de don extrême d’un Dieu magnanime et miséricordieux. C’est à partir de ce constat que nous sommes portés à contempler Dieu en son Fils, comme nous y invite ce chant composé par Anne-Sophie Rahm, inspiré de saint François d’Assise : « Admirable gran-deur, étonnante bonté du maître de l’univers qui s’humilie pour nous au point de se cacher dans une petite hostie de pain ! Regardez l’humilité de Dieu et faites-lui l’hommage de vos cœurs. »
Une connaissance expérimentale
Si l’humilité est la « Mère des vertus » ou le « sel des vertus » (sans lequel ces vertus ne sont rien, si ce n’est qu’elles alimentent plutôt notre orgueil), l’humilité est, plus qu’une vertu, un « état ». Avec ses épreuves, ses tentations et ses chutes… – mais également avec l’éclairage de la grâce et l’action de l’Esprit ! – la vie nous simplifie… L’humilité ne se forge pas « à la force des poignets », mais se façonne en nous par les événements et par l’œuvre du Seigneur. Nos chutes, notre faiblesse ou telle « écharde » peuvent nous humilier, mais Dieu dit à Paul : « Ma grâce te suffit » (2Co 12, 9) : c’est l’expérience du « cœur brisé » (Ps 50, 19) qui nous enseigne le plus, non les sacrifices souvent emprunts d’amour propre. Ce n’est qu’après son triple reniement et le regard si aimant du Christ (cf. Lc 22, 61) que Pierre comprit sa misère et l’amour incommensurable du Christ pour Lui ! Bienheureuses larmes du repentir qui nous font entrer dans une sainte crainte de Dieu et une reconnaissance éperdue, une immense gratitude, comme celle de Marie-Madeleine se jetant aux pieds de Jésus en lui versant un parfum de grand prix.
L’humilité est donc le fruit d’un réalisme spirituel qui s’approfondit par cette double connaissance expérimentale de Dieu et de soi. Ainsi Catherine de Sienne a pu comprendre ces paroles du Christ : « Sais-tu ma fille qui tu es et qui je suis ? Si tu as cette double connaissance, tu seras heureuse. Tu es celle qui n’est pas, je suis Celui qui Suis. ». Le fait de savoir que nous ne sommes rien sans Dieu nous met à l’abri de l’orgueil et du désespoir, car nous ne comptons plus sur nos propres forces. Cela ouvre à l’espérance. La connaissance de notre néant nous fait découvrir l’amour infini dont nous sommes l’objet sans aucun mérite de notre part, si ce n’est celui de nous ouvrir à cet amour pour le recevoir. Cela nous délivre de la tristesse ou de l’ingratitude et nous « rend à la joie d’être sauvé » (Ps 50, 14).
Se laisser aimer
Avec notre désir, nos limites, nos sécheresses, nos distractions, nos tentations… exposons-nous au regard de Jésus tels que nous sommes, comme Lui s’expose à notre regard dans la nudité du pain eucharistique. Ce cœur à cœur nourrit alors un amour du prochain plus humble, plus vrai, plus désintéressé, plus compatissant, plus miséricordieux… Car nous savons combien nous sommes capables du pire comme du meilleur. Nous savons que nous ne sommes pas la Source de l’amour. Seul Dieu est la fontaine à laquelle nous abreuver, non pour aimer de nos propres forces – au risque d’un épuisement ou d’un « burn-out spirituel » ! – mais pour aimer comme Il nous aime : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » nous dit-Il (Mt 11,29), et encore : « N’accordez rien à la vaine gloire, mais que chacun par l’humilité estime les autres supérieurs à soi ; ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 3-5). Dans l’oraison, il s’agit de se laisser aimer par Dieu pour mieux aimer son prochain et soi-même, avec plus de douceur et d’humilité. L’oraison nous permet de puiser à l’unique Source, pour nous laisser façonner par Celui qui s’adresse à Catherine de Sienne et à chacun de nous en disant : « Fais-toi capacité et je me ferai torrent » !
Du Pape François
« On ne connaît la grandeur du mystère de Dieu qu’à travers celui de Jésus, et le mystère de Jésus parle précisément de s’abaisser, de s’annihiler, de s’humilier, un mystère qui apporte le salut aux pauvres, à ceux qui sont détruits par tant de maladies, qui ont péché dans des situations difficiles. En-dehors de ce cadre, on ne peut pas comprendre le mystère de Jésus, on ne peut pas comprendre l’onction du Saint-Esprit qui le fait se réjouir (cf. Lc 10, 21-24) dans la louange du Père, et qui le conduit à évangéliser les pauvres, les exclus. Nous demandons au Seigneur de nous rapprocher toujours plus de son mystère, et de le faire sur la route qu’Il veut que nous suivions : la voie de l’humilité, la voie de la douceur, la voie de la pauvreté, celle sur laquelle nous nous sentons pécheurs. C’est ainsi qu’il vient nous sauver, nous libérer. »
La citation
« L’homme humble n’est pas celui qui est écrasé par le poids de ses torts, de ses limites, de ses refus, de son péché. Il est humblement joyeux de se savoir pécheur et pardonné. » (Père Bernard Ducruet)
Pour aller plus loin…Rien que pour aujourd’hui :Je n’hésite pas à répéter dans ma prière et au cours de mes journées cette simple invocation : « Ô Jésus, doux et humble de cœur, rends mon cœur semblable au tien. » Lectures
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(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).