Les larmes (n°71)

« Qui peut interpréter ce langage où les sentiments sont tous mêlés en une seule goutte ! C’est une langue qui parle toutes les langues ! Une langue de l’âme qui déverse le trop-plein de ses sentiments les plus sincères ! », écrit le Père Matta El Maskîne. Larmes « émotionnelles », provoquées par la douleur ou la com-passion ; ce sont celles que tous sont amenés à verser. Larmes « spirituelles » accompagnant notre cheminement vers le Royaume : elles peuvent être amères, expression de notre repentir, de notre regret d’avoir blessé l’amour de Dieu ; elles sont alors comme « le sang de notre âme ». Et elles peuvent être douces, comme une forme d’illumination, d’excès de joie devant l’amour de Dieu.

Les larmes de repentir

« Que sont les larmes du repentir sinon la glace des péchés dont le poids s’est accumulé sur le cœur, et que le Soleil de justice, le Christ, fait fondre et transforme en une eau salutaire qui purifie et guérit ? » demande le Père Matta El Maskîne.

Marie-Madeleine nous en donne un merveilleux exemple. Entrée dans la maison de Simon le Pharisien, son cœur se brise devant Jésus, ses pleurs coulent abondamment sur les pieds du Seigneur, manifestant son amour avec ses baisers et son parfum répandu.

Jésus accueille cela avec compassion et le don d’une vie nouvelle : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix » (Lc 7,36-50). C’est le retour au bercail de la brebis perdue, une nouvelle naissance à la vie divine… De même que l’enfant pleure à sa naissance, le pécheur pleure aussi en revenant à la vie nouvelle de la grâce.

Saint Pierre fera l’expérience de ces larmes qui brûlent et lavent le cœur. Au soir de l’arrestation de Jésus, dans la cour du grand-prêtre, ayant suivi Jésus « de loin », il le renie par trois fois comme Jésus le lui avait prédit. Alors, « le Seigneur se retournant, regarda Pierre » (Lc 22,54-62). Quel fut ce regard de tendresse, de miséricorde, de soutien pour celui qui venait de sombrer ? Plus qu’aucune parole, qu’aucun reproche, il a transpercé le cœur de Pierre, qui sortant, a pu pleurer amèrement.

Saint Jean Climaque présente les larmes comme un nouveau baptême : « Comme nous recevons tous le baptême dans l’enfance, nous le souillons par la suite. Mais au moyen des larmes, nous le renouvelons dans sa pureté première. »

Les larmes qui illuminent

Lors de notre vie avec le Seigneur, découvrant ses merveilles, sa tendresse pour nous et « tout ce qu’il a préparé pour ceux qui l’aiment » (cf. 1 Co 2,9), nous constatons que notre cheminement peut être accompagné de larmes, qui ne sont ni amères, ni douloureuses. Elles jaillissent de la réalisation soudaine des promesses de Dieu, du surgissement inattendu de sa présence dans notre désert, d’un exaucement longtemps désiré. Elles coulent lorsqu’une parole de Dieu reçue dans la Lectio, ou pendant un chant, traverse et touche notre cœur. Elles expriment en silence la gratitude d’un cœur qui s’est laissé attendrir au contact de celui du Seigneur. Larmes lumineuses, qui coulent sans affectation ni contrainte, elles régénèrent le corps aussi bien que l’âme. Bien des saints ne pouvaient assister à la Messe sans pleurer abondamment. « C’est toujours avec des larmes qu’il faisait oraison et disait sa Messe » a-t-on dit de saint Ignace de Loyola.

Les larmes de douleur

Ces larmes-là permettent d’extérioriser la trop grande souffrance ; de sorte que celle-ci serait encore plus profonde si elles ne coulaient pas… Dans le livre des Lamentations, les yeux du prophète Jérémie « se fondent en ruisseaux pour le désastre de la fille de son peuple ». Ils « pleurent et ne s’arrêtent pas », ils lui « font mal », jusqu’à ce que le Seigneur jette les yeux sur sa souffrance (Lm 3,48-51).

Approchant de Jérusalem, à quelques jours de sa Passion, Jésus pleure lui aussi en voyant le sort futur de la ville qui va le rejeter. Puis il pleurera au jardin des Oliviers. Si saint Luc nous parle de « grosses gouttes de sang qui tombaient à terre » (Lc 22,44), la lettre aux Hébreux évoque « le grand cri et les larmes » (Hb 5,7) par lesquelles il a supplié le Père devant la Passion toute proche, et probablement aussi la fermeture du cœur de beaucoup.

Les larmes ont accompagné la douleur et la prière d’intercession de sainte Monique pendant quinze ans avant la conversion de son fils Augustin. « Il est impossible, lui dit l’évêque de Thagaste, que périsse ce fils de tant de larmes ». Elles accompagneront aussi la prière d’intercession de saint Dominique ; ses larmes de douleur pour la conversion des pécheurs sont bien connues : « Il disait dans sa clameur : « Seigneur, ayez pitié de ce peuple : que vont devenir les pauvres pécheurs ?  » Il passait en veille des nuits entières, pleurant et gémissant pour les péchés des autres ».

Les larmes de deuil

Ces larmes sont bien présentes dans la Bible…

Lors du massacre des enfants de Bethléem, saint Matthieu cite un oracle du prophète Jérémie : « Une voix dans Rama s’est fait entendre, pleur et longue plainte : c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus » (Mt 2,17-18).

Les larmes de la veuve de Naïn, suivant son fils unique que l’on porte déjà en terre, vont rencontrer le regard de Jésus. « Ne pleure pas », dit-il à cette mère, avant de ressusciter son fils (Lc 7,13).

Les larmes, versées par Marie de Béthanie au tombeau de Lazare, feront couler celles de Jésus, nous montrant ainsi sa compassion vis-à-vis des ceux qui souffrent et sont soumis à la mort. « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » 

Plus de larmes !

Si les larmes sont un langage essentiel de la prière, c’est cependant le bonheur que Dieu désire pour nous. C’est bien ce qu’affirme saint Jean dans l’Apocalypse, après avoir vu la nouvelle Jérusalem descendre du ciel d’auprès de Dieu : « Dieu essuiera toutes larmes de leurs yeux… de mort, il n’y en aura plus ; de pleurs, de cris et de peine il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé » (Ap 21,4). Hâtons la venue de ce temps par notre prière et notre conversion !

Prière pour demander les larmes du repentir (Missel Romain)

Dieu de toute-puissance et de grande douceur, pour ton peuple assoiffé, Tu as fait jaillir de la pierre une source d’eau vive ; arrache à la dureté de nos cœurs les larmes du repentir, afin que nous puissions pleurer nos péchés et méritions, par ta miséricorde, d’en obtenir le pardon.

 

La citation

«Celui qui connaît ses propres péchés est plus grand que celui qui, par la prière, ressuscite les morts. Celui qui pleure une heure sur lui-même est plus grand que celui qui sert le monde entier par la contemplation. » (Saint Isaac le Syrien)

 

Pour aller plus loin…

Rien que pour aujourd’hui :

Dans l’oraison, je contemple les larmes de Jésus, au tombeau de Lazare, sur Jérusalem, au Mont des Olivers, Comment est-ce que je réagis devant les larmes d’autrui ? Et devant les miennes ?

Lectures

  • L’expérience de Dieu dans la vie de prière, père Matta El Maskîne, Éditions Abbaye de Bellefontaine, p. 257-274.

  • Hilarion Alfeyev, L’univers spirituel d’Isaac le syrien, Abbaye de Bellefontaine, collection spiritualité orientale, chapitre 5, « Les larmes ».

  • Les lamentations d’Adam, Saint Silouane

Retrouvez les articles précédents de notre série « Vie d’oraison ».
(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).

Oraison

Ces articles sur la vie d'oraison sont extraits du bulletin mensuel "Il est là !" publié à l'usage des membres de la Communauté des Béatitudes et de leurs amis. Il est rédigé par un collectif de laïcs, prêtres, frères et sœurs consacrés, membres de la Communauté, avec le désir de stimuler la vie de prière, essentielle à la vocation aux Béatitudes comme à toute vie chrétienne authentique... C'est pourquoi nous sommes heureux de vous partager ces contenus simples.

ARTICLES QUI PEUVENT VOUS INTÉRESSER

Oraison et humilité sont liées et se nourrissent réciproquement. L’oraison nous éclaire progressivement et de plus en plus profondément sur l’infinie grandeur, l’infini amour, (…)
« Prends garde d’être assis dans ton coin à juger ton frère ; serais-tu même installé sur les sommets de la perfection, cela détruirait tout l’édifice (…)

Je souhaite recevoir vos newsletters

    *Vous pouvez vous désabonner à tout moment en bas de chaque email (lire la politique de confidentialité).

    Votre don sera reçu par la Fondation pour le Clergé, en faveur de la Communauté des Béatitudes et les données recueillies sur le formulaire de don serviront aux communications de la Communauté des Béatitudes et de la Fondation pour le Clergé.