Oui, pourquoi, alors que cette forme de prière peut être remplie d’embûches, de pauvretés, de nuits spirituelles et qu’elle demande du temps et du souffle ? D’autres formes de prière peuvent nous sembler plus simples, plus accessibles, plus méthodiques et adaptées à notre rythme actuel. Pourtant, faire oraison est au cœur de l’appel aux Béatitudes et, vu que tout appel s’accompagne de la grâce correspondante, nous y voyons une promesse de la part du Seigneur, une promesse à accueillir humblement, comme des pauvres.
À regarder de près, cet appel à « un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé » (Thérèse d’Avila), Dieu l’évoque souvent dans sa Parole et Jésus ne cesse d’y inviter ses amis : « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Mt 6, 6) Jésus nous y invite nous aussi, il nous le demande en quelque sorte, lui qui nous en a montré l’importance par son propre témoignage.
Dieu me le demande
Si Dieu me le demande, comment ne pas lui faire confiance ? N’est-il pas mon créateur, celui qui m’a modelé et qui seul sait ce dont j’ai le plus besoin pour que s’achève pleinement en moi son œuvre créatrice et sanctificatrice ? « Dieu, voulant élever les hommes jusqu’au partage de la vie divine, met en nous le désir de Le voir face à face, afin que, dans cette vision, notre âme soit consumée par Celui qui est comme un feu dévorant, et aspire toujours plus à l’union avec l’Époux : ‘J’ai trouvé Celui que mon cœur aime, je L’ai saisi et ne Le lâcherai point’. » (Livre de Vie, n° 57) S’il me le demande, c’est qu’il sait, comme une mère, ce qui répond le mieux à mon besoin le plus vital : « C’est lui qui nous fait désirer et comble nos désirs », dira Thérèse. Oui… au fond, c’est une question de brûlure, de désir, d’amour, d’union, de soif.
Parce que j’ai soif de Lui
Dans une terre très souvent sèche et brûlée par le soleil, dans un désert aride et silencieux, il n’y a pas plus douloureux que l’expérience physique de la soif. Le peuple de la première alliance l’a vécu trop souvent et il a compris qu’elle reflète l’image du besoin le plus profond de l’âme humaine : la soif de Dieu. « Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant : Quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? » (Ps 42, 3) Beaucoup de psaumes nous en parlent, reflétant ce besoin profond qui habite notre âme, nous qui sommes faits à l’image de Dieu mais qui portons ce don dans des vases d’argile mille fois fissurés… « Ô Dieu ! Tu es mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, mon corps soupire après toi, dans une terre aride, desséchée, sans eau. » (Ps 63, 2) Mais Jésus le sait, il connaît le cœur de l’homme, il a visité l’abîme profond de ses sécheresses et il est venu nous indiquer la source : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. » (Jn 7, 37)
La soif pousse à marcher, à chercher un puits, une source – ou à prier pour la pluie. Et, dans la Bible, le puits est ce lieu où se tissent les histoires d’amour. D’un point de vue spirituel, cette marche suscitée par la soif pousse notre volonté à rentrer dans le combat spirituel, à chercher comme l’épouse du Cantique « celui que son cœur aime », et à trouver le puits au plus profond de soi, pour y rencontrer l’aimé, jouir de sa beauté et se reposer à son ombre. « Nous croyons que la vie d’oraison nous permet d’entrer dans la béatitude qui est celle de voir Dieu, et peu à peu de lui ressembler. » (Livre de Vie, n° 60) Mais en fait, ce n’est pas mon âme seule qui a soif de Dieu. Lui aussi, a soif de moi…
Parce qu’Il a soif de moi
Oui, Dieu a soif de l’amour de tout homme et en Jésus il nous le confesse, se montrant dans cette faiblesse désarmante où notre raisonnement humain perd la boussole : fatigué, n’avait-il pas demandé de l’eau à la Samaritaine, signifiant par là une soif plus profonde ? Et sur la croix, au comble de son œuvre d’amour, il murmure, comme une parole ultime à l’humanité : « J’ai soif. » Pour cela, la prière d’oraison devient attente mutuelle, silence partagé, dialogue d’amour : « C’est ainsi que l’oraison, pur dialogue d’amour, prend une place essentielle dans notre vie, car elle est la voie royale qui nous conduit à la connaissance de Celui qui est tout Amour. » (Livre de Vie, n° 57)
Si Dieu est amour, et que l’amour est don, il ne peut que se donner, et pour se donner, il a besoin d’être reçu, accueilli : « Fais-toi capacité et je me ferai torrent », dit Jésus à sainte Catherine de Sienne. Telle est sa soif : une soif du cœur de l’homme, lieu de sa demeure, de l’acquiescement libre de sa volonté, de la terre pauvre et humble de son humanité pour qu’il vienne l’habiter, la purifier, la transformer, et l’irriguer de sa grâce. L’oraison devient alors ce lieu où les deux désirs de l’homme et de Dieu se rejoignent pour un don mutuel. Mais ce lien créé dans l’Esprit Saint n’est pas fermé sur lui-même. L’eau déversée dans le cœur de celui qui fait oraison, à travers nuits et aurores, monts et vallées (cf. saint Jean de la Croix), si elle rafraîchit l’âme et la désaltère, est également appelée à devenir à son tour, fontaine, source, débordement : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. » (Jn 4, 14)
Et que le monde a soif de Dieu
Ainsi nous comprenons avec Thérèse d’Avila que l’oraison est aussi un acte missionnaire. Elle ne s’arrête pas à l’expérience personnelle d’une intimité divine, mais elle fait de nous des apôtres qui donnons ce que nous recevons, comme par un débordement de notre coupe. Nous sommes appelés sans cesse à élargir l’espace de nos tentes pour embrasser le monde « qui meurt de soif à côté d’un puits. » S’il est vrai que « celui qui regarde vers Dieu resplendira », alors ce qui se vit dans le secret de notre « chambre intérieure » ne peut que rayonner mystérieusement dans le cœur de la Communauté, de l’Église et du monde. Le feu, la lumière, l’eau vive et l’amour que répand l’Esprit Saint dans le cœur d’une âme qui prie ne peuvent que brûler, rayonner, irriguer et réchauffer. À travers la simplicité déconcertante de ce dialogue d’amitié, le monde lui même est comme élevé vers Dieu.
« Gloire à Celui qui jamais n’a besoin que nous le remercions, mais qui a besoin de nous chérir, qui a soif de nous aimer et qui demande que nous lui donnions pour nous donner davantage encore. »
Saint Éphrem
Témoignage
« Au début de ma vie communautaire, j’ai longtemps fait oraison pour aller à la rencontre de Jésus, pour recevoir et accueillir en moi sa présence, sa Parole, sa consolation et sa paix. Il y eut des jours où la prière était source de grandes grâces et d’autres où elle était aride. Je savais cependant que c’était important, que cela portait des fruits dans l’invisible. Un jour, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de moi seulement, mais qu’une relation se vivait à deux, et que si j’allais rencontrer Jésus, ce n’était pas uniquement pour mon propre bien, mais aussi pour lui, parce qu’il m’aimait et m’attendait… » Joumana
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