Un désir mystérieux
L’homme est constamment traversé par de multiples désirs mais son grand désir fondamental est une soif de plénitude sans fin, même s’il ne sait pas nommer cet attrait irrésistible. « L’homme porte en soi un désir mystérieux de Dieu. » (Benoît XVI) « Mon âme languit, se consume après les parvis du Seigneur ; mon cœur et ma chair crient vers le Dieu vivant. » (Ps 84, 3)
Ce désir est un mouvement vers un bien ardent. « Désir inscrit dans le cœur de l’homme, car l’homme est créé par Dieu et pour Dieu ; Dieu ne cesse d’attirer l’homme vers Lui. » (CEC, n° 27) L’épouse du Cantique dit : « Je chercherai celui que mon cœur aime. » Et, ajoute saint Bernard : « Le désir passionné de mon cœur le poursuivra d’un cri continuel… jusqu’à pleurer de désir. » Un mouvement vers l’avant. « Je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus. » (Ph 3, 12)
Un martyre. Thérèse avoue que le désir confine parfois au martyre, tel un feu qui vous brûle, comme elle l’a expérimenté à l’oraison alors qu’elle cherchait sa mission spécifique au cœur de l’Église.
Entretenir le désir
Les lunes de miel ne durent pas mais vient le temps de l’amour profond qui s’enracine. La bien-aimée « recherche un je-ne-sais-quoi / que son cœur brûle d’obtenir » (Jean de la Croix, Glose sur le divin), tout en percevant combien ce désir doit s’entretenir : « Sans cesse je m’appliquerai / À gagner ce je-ne-sais-quoi / Que mon cœur brûle d’obtenir. »
Le gagner par de petits riens (en apparence) mais qui sont d’une extrême importance :
– ces mots d’amour qui s’échappent du cœur, tels des flèches désirant transpercer le Sein de l’Aimé, élu seul par notre cœur seul ;
– la Lettre d’amour de l’Écriture relue sans cesse, toujours neuve, phrases- chocs qui vous ébranlent, vite recopiées sur de petits carnets ;
– la gratitude comme toile de fond de l’âme, bénédiction appelée sur le monde, l’Église, notre prochain ;
– le désir de bonté envers tous ;
– la loi du don à l’exemple du « Fils de l’homme venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10, 45) ;
– une culture de la confiance, libératrice : tous n’ont pas comme Thérèse une confiance innée à toute épreuve. Ce qui paralyse mon désir, c’est de ne pas oser croire que je peux plaire à Dieu qui me cherche, moi pauvre pécheur ;
– la purification constante du péché, dans la réconciliation.
Risque d’étouffement du désir
Le désir peut être étouffé, comme le feu par manque d’air. Comment cela se produit-il ? Probablement par glissements imperceptibles. Au désir naturel de connaître, qui est une manifestation normale de l’activité de l’intelligence – une curiosité de bonne qualité, louable, nécessaire – s’oppose son défaut, l’attrait de plus en plus exclusif pour le créé, l’envahissement de connaissances éphémères et inutiles au dépens de la connaissance de l’Écriture sainte qui nourrit en profondeur et demeure. Le défaut de jeûne du regard ne favorise pas l’intériorité, « curiosité effrénée qui pousse à tout voir, tout éprouver, jusqu’à tenter Dieu », disait déjà saint Augustin.
Qu’avait donc commis de répréhensible la fiancée du Cantique qui soudain ne voulait plus ouvrir sa porte ? Rien de grave en apparence : elle est bien sans Lui, elle préfère ses aises, mais « celui qui cherche Dieu en sauvegardant son repos et ses aises ne le trouvera pas. » (Jean de la Croix) Sorte d’acedia, entre sommeil et lâcheté. Tiédeur : le curé d’Ars qualifie cet état d’abominable. L’Église d’Éphèse, dans l’Apocalypse, avait perdu l’élan de son premier amour : lourdeur, tristesse, manque de zèle. Ni chaude, ni froide, elle est devenue tiède et indifférente, préfère aller selon le train du monde, cesser d’être une mise à part, cesser de s’occuper des choses d’en-haut.
Entre diverses formes de surinvestis-sement, signalons–en deux qui peuvent entraîner la perte du désir de Dieu.
Le surinvestissement dans le travail. On peut insensiblement, avec les meilleures intentions, même au service de la mission, développer une suractivité à potentialité addictogène. Les fondateurs, les saints, les grands missionnaires, Thérèse d’Avila, François Régis, Mère Teresa et tant d’autres priaient la nuit, le pape François aussi. Il est capital de laisser consciemment de la place à du temps libre, qui offrira l’oxygène absolument indispensable à l’équilibre ; important d’avoir des déserts réparateurs, des temps pour l’irremplaçable Lectio divina et l’oraison. Il est recommandé, quand on prend conscience d’un fléchissement de l’élan, de reprendre un livre majeur qui vous emporte l’âme. Chacun a le sien. Thérèse demandait charismatiquement un texte dans L’Imitation. Sinon, on perd peu à peu le désir de chercher Dieu, on glisse même dans l’épuisement… parfois jusqu’au burn out.
Le surinvestissement de type affectif, attachement excessif, cœur divisé, manque de liberté de l’âme, étouffement, attiédissement, perte du goût des choses d’en-haut. Le sanctuaire de l’âme n’est plus protégé, la chambre nuptiale, le temps du cœur à cœur avec Celui-là seul, le Christ, Ipsi Soli.
Ranimer le désir est en notre pouvoir
« Vraiment tu es un Dieu qui se cache. » (Is 45, 15) Quand le désir est muet, revêtu d’une robe de pauvreté et même comme absent, on se sent démuni. Pourtant le Saint désir (l’Esprit) gémit au fin fond de notre être. Il n’attend que notre petite bonne volonté pour se montrer. Paul exhortait Timothée à ranimer la flamme : « Je t’exhorte à ranimer le don de Dieu que tu as reçu par l’imposition de mes mains. » (2 Tm 1, 6) Il nous faut collaborer avec Dieu par la patience, réactiver notre pauvre foi. L’Esprit nous aidera à briser l’esprit de paresse.
Saint Augustin nous dit que « Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l’âme ; en l’élargissant, il augmente sa capacité de recevoir. Suppose que Dieu veuille te remplir de miel : si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel ? Il faut répandre le contenu du vase, il faut nettoyer le vase lui-même, il faut le nettoyer à force de travailler, à force de frotter, pour qu’il soit capable de recevoir autre chose. Dieu a fait de toi un être de désir et ton désir, c’est lui, Dieu. »
Avec Marie dont l’immense désir attira le Verbe, nous désirons voir le Christ connu et aimé de tous, la Sainte Église unifiée et sanctifiée, les pécheurs convertis, nous désirons ardemment que Jésus revienne enfin dans la gloire.
La citation
« Qu’il me baise du baiser de sa bouche. J’ai reçu, je l’avoue, des faveurs qui sont beaucoup au-dessus de mes mérites, mais elles sont au-dessous de mes souhaits. Je suis emporté par mes désirs, ce n’est pas la raison qui me guide. N’accusez pas, je vous prie, de témérité, ce qui n’est que l’effet d’un ardent amour. » Saint Bernard
Pour aller plus loin…Rien que pour aujourd’hui :
Livres
|