La garde du cœur (n°68)

« Prends garde d’être assis dans ton coin à juger ton frère ; serais-tu même installé sur les sommets de la perfection, cela détruirait tout l’édifice de tes vertus » (Saint Isaac le Syrien).

Le cœur est, pour les Pères du désert, ce centre spirituel de la personne où résident les pensées, l’intelligence, le discernement, la volonté, la sagesse et le jugement. C’est aussi le lieu de l’inhabitation de l’Esprit, où se construit le fondement de la vie spirituelle. De ce fait, l’attention au cœur est considérée comme l’œuvre la plus importante de la vie spirituelle : « Garde ton cœur plus que toute chose, car de lui viennent les sources de la vie » (Pr 4, 23).

Qu’est-ce que la garde du cœur ?

La nepsis en grec (vigilance), est une méthode spirituelle qui consiste en une attention portée à tout ce qui se passe intérieurement. « Sois attentif à toi-même, sois le portier de ton cœur et ne laisse aucune pensée y entrer sans l’interroger » (Saint Évagre). Mettre un gardien sur son cœur, c’est observer ce qui s’y passe et donner l’autorisation ou non à telle pensée bonne ou mauvaise d’y rentrer. La paix ou le trouble dépendent de cela. C’est bien le principe du discernement des esprits repris plus tard par saint Ignace de Loyola. L’enjeu n’est autre que la liberté intérieure qui permet d’être délié des passions et de la domination des pensées qui éloignent de Dieu, pour atteindre la pureté du cœur.

Ce qui habite le cœur

Le psalmiste savait qu’il y a des pensées qui, souvent influencées par l’ennemi, peuvent nous attirer vers la mort et le néant ; alors que d’autres, sous la conduite de l’Esprit Saint, nous conduisent vers la vie en plénitude (cf. Ps134, 23-24). Aussi est-il important de scruter son jardin intérieur : quels sont les attachements, les idoles, les addictions qui y poussent, et quelles sont les pensées qui s’y introduisent, y jetant tensions et contradictions, ou y apportant paix, joie et sérénité ?

Quand les pensées qui troublent s’installent et grandissent (pensées négatives, jugements, comparaisons, pensées de jalousie, d’envie, de haine, critiques, moqueries, murmures, etc.) elles suscitent les émotions, et ces dernières, n’étant pas contrôlables, peuvent plonger dans l’anxiété et l’agitation et parfois pousser à une action non désirée.

« Que les pensées nous troublent ou pas fait partie des choses qui ne dépendent pas de nous. Mais qu’elles demeurent ou pas en nous, qu’elles suscitent les passions ou pas, fait partie de ce qui est en notre pouvoir » (Saint Jean Damascène). Garder son cœur, ce n’est pas se scandaliser de ce qui l’habite, mais observer ce qui s’y passe sur le plan des pensées et des désirs pour décider d’y consentir ou d’y résister.

Ce qui vient de l’extérieur et ce qui sort du cœur

Afin de protéger le cœur et de le garder en Dieu, il est nécessaire de prendre conscience de tout ce qui vient de l’extérieur et peut exercer une influence subtile sur nos pensées et notre imagination. Dans notre XXIème siècle, on peut penser à ces « bêtes fauves » qui sont tapies sur le seuil de notre porte : « La surconsommation, le matérialisme et la sécularisation propres à nos cultures, les idoles de notre monde du loisir et des sports, et la surinformation » (Mother Gail Fitzpatrick). De fait, sommes-nous attentifs à ce qui entre par nos yeux, nos oreilles, notre intelligence et notre affectivité ? Beaucoup de choses sont bonnes. L’important est de pouvoir discerner entre ce qui aide à protéger son lieu intérieur et ce qui est superficiel, qui l’envahit ou l’inquiète, le distrait de l’amour de Dieu et du prochain et de la prière continuelle.

Garder le cœur, c’est aussi faire attention à ce qui en sort car, dit Jésus : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de la bouche » (Mt 15,11).  Il explique un peu plus loin que ce qui sort de la bouche provient du cœur, et que c’est du cœur que proviennent les pensées mauvaises rendant l’homme impur (cf. Mt 18,20).

Pour nous qui avons remis toute notre vie à Dieu, combien salutaire serait cette attention à ce qui sort de notre cœur et qui se traduit par notre langage et nos comportements. Qu’est-ce qui sort de ma bouche, qu’est-ce qui se communique dans mon regard à ceux qui m’entourent et parfois me dérangent ? Que dit mon visage ? Que transmet ma personne ?

Comment progresser ?

D’abord, il est nécessaire de ne pas oublier que ce n’est « ni par puissance ni par force mais par mon Esprit dit le Seigneur » (Za 4, 6) qu’une telle œuvre est possible. Notre contribution est importante, mais « sans [Jésus] nous ne pouvons rien faire » (Jn 15, 5). « L’homme doit engager le combat et faire la guerre dans ses pensées. Car le Seigneur te demande de t’irriter contre toi-même et de lutter contre ton intellect, de ne pas consentir aux pensées mauvaises et de ne pas te complaire en elles. Toutefois, pour ce qui est de déraciner le péché et le mal qui l’accompagne, seule la puissance divine peut y arriver », dit saint Macaire.

Cela dit, nous avons notre part dans le combat. Comment le faire pratiquement, vu que « la nature a horreur du vide » ? Le bonus proposera quelques idées à compléter par notre créativité.

Conclusion

N’oublions pas que les gardiens de la garde du cœur, ce sont ces habitudes d’une vie plongée en Dieu : la prière fidèle, la méditation amoureuse de la Parole, la relecture quotidienne de notre journée qui aiguise la vigilance intérieure, l’ouverture sincère à l’accompagnateur, la compassion et surtout l’humilité. C’est cette dernière qui empêche de désespérer à la vue de nos chutes quotidiennes et qui nous pousse à nous tourner sans cesse vers la miséricorde de Dieu qui vient toujours au secours de notre faiblesse. Amma Théodora disait :

« Ni la rigidité de discipline monastique ni les austérités corporelles ne nous sauvent, mais l’humilité sincère ».  

Une humilité à demander et à entretenir chaque jour en notre cœur, par exemple par la pratique de la relecture de la journée. L’enjeu est grand… il s’agit de laisser jaillir de ce cœur « les sources de la vie » !

Notre contribution, quelques pistes…

  • Dans le cas de pensées de jugement ou de critique, les remplacer par des pensées positives sur la personne (ex : « Oui, il est en retard, mais n’oublie pas qu’il fait plein de petits services dans le secret ») ou essayer de trouver une justification (ex : « Il est malade, il a sûrement mal dormi »).
  • Remplacer les jugements par une taquinerie sur moi-même : (ex : « Vraiment, heureusement, que moi, j’existe, parce que moi, je ne me trompe jamais ! »)
  • À la place de la moquerie, de l’injure ou de la malédiction que j’ai prononcée dans mon cœur, je dis une bénédiction (ex : « Bénis-le Seigneur, couvre-le de ton amour »).
  • Demander simplement pardon à Dieu en répétant ce verset du publicain : « Prends pitié de moi, Seigneur ».

La citation

« « Un jour, un frère confia à Macaire l’Égyptien : « Père, voilà trente ans que je ne mange pas de viande et je suis toujours tenté par le péché de la chair ». « Ne me dis pas, mon enfant, répondit l’ancien, que tu t’es privé de viande toutes ces années. Dis-moi plutôt la vérité : combien de jours as-tu passés sans médire sur ton frère, sans juger ton prochain, sans te laisser aller à prononcer une parole inutile ? » Le frère s’inclina et dit : « Prie pour moi, Père, pour que je commence ». »

 

 

Pour aller plus loin…

Rien que pour aujourd’hui :

Je relis ma journée en présence de Dieu :

  • J’y repère ce qui m’a fait grandir dans l’amour et la vie, et je l’en remercie.
  • J’accueille ce qui a pu être difficile, décevant, ce qui fait obstacle sur mon chemin avec lui. À quels changements cela m’invite-t-il ? Je me confie à Dieu, sans découragement, et lui demande la grâce de la conversion.
  • Je me tourne vers demain en confiant au Seigneur les personnes et situations que je rencontrerai.

Lectures

Retrouvez les articles précédents de notre série « Vie d’oraison ».
(publication éditée par des frères et sœurs de la Communauté des Béatitudes – ©droits réservés).

Oraison

Ces articles sur la vie d'oraison sont extraits du bulletin mensuel "Il est là !" publié à l'usage des membres de la Communauté des Béatitudes et de leurs amis. Il est rédigé par un collectif de laïcs, prêtres, frères et sœurs consacrés, membres de la Communauté, avec le désir de stimuler la vie de prière, essentielle à la vocation aux Béatitudes comme à toute vie chrétienne authentique... C'est pourquoi nous sommes heureux de vous partager ces contenus simples.

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